Au-delà de l’image

Jan 2, 2024 | Ma démarche | 8 commentaires

1. Introduction

Bonjour à tous !

La démarche photographique est en perpétuelle évolution. Comme tout processus créatif, elle n’échappe pas à sa nature.

Je vais tenter de vous donner quelques clefs afin de mieux comprendre le sens que je mets dans ma démarche.

Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore, cela fait environ dix ans que je fais de la photo. Il y a moins d’un an, j’ai créé un blog « l’œil du photographe » dédié principalement à la photographie.

La photographie m’est tombée dessus assez tardivement dans ma vie.

J’ai commencé comme tout le monde j’imagine à photographier tout et n’importe quoi.

Et puis d’année en année, j’ai appris à mieux voir, à mieux composer, à trouver mon style.

Pour moi, la photographie telle que je la pratique, m’a permis de mieux voir le monde dans lequel je vis. Elle m’a ouvert les yeux. Non seulement vers l’extérieur mais aussi et surtout vers l’intérieur.

2. Le reflet de l’œil

La photographie m’a appris une chose essentielle. On ne voit que ce que l’on est.

L’œil est comme un miroir qui reflète sa réalité intérieure.

Il y a des photos qu’on ne fera jamais. Tout simplement parce qu’on ne les voit pas. Je peux passer des dizaines de fois dans la même rue sans jamais voir certains éléments qui composent le décor.

Pourquoi ? Parce que ma culture, mon éducation, ma sensibilité, mon expérience influencent ma façon de percevoir certaines informations visuelles. Elles influencent aussi et surtout notre intérêt pour tel ou tel sujet. Mettez 2 personnes dans un même espace et il y a de forte chance qu’elles ne voient pas la même chose.

Joseph Koudelka, un photographe que j’admire, parle de sa pratique photographique en ces termes : “Je ne prévois pas mes photos. La seule chose que je cherche, c’est l’endroit où une photo va m’attendre”. Je trouve que c’est une belle métaphore sur le rapport à l’image que nous entretenons bien souvent de façon totalement inconsciente.

3. Au-delà des apparences

L’image est pour moi bien plus que ce qu’elle représente en apparence.

Et c’est d’ailleurs l’objet principal de mon blog. Qu’est-ce qu’une image et quel rapport nous entretenons avec elle ?

Il y a tant de choses à dire à ce sujet. Je ne vous parlerai pas ou très peu de matériel ou de technique mais principalement de ma démarche photographique et de mes interrogations qui en découlent, un petit peu de culture aussi et de quelques photographes qui me semblent intéressants à connaître. Mon blog ne s’adresse pas qu’aux photographes mais à tout le monde. Par contre les photographes de plus en plus nombreux pourront y trouver une réflexion qui pourra les aider à être plus créatif et développer un style plus personnel.

4. La photographie à portée de tous

Il est vrai que depuis ces dernières années, la photographie suscite un engouement croissant. Sans doute parce que c’est un moyen d’expression très accessible. Contrairement à la peinture ou au dessin, nul besoin d’un apprentissage long et très technique. Tout le monde peut réaliser une photo dès lors qu’il possède un smartphone ou un appareil photo. Je n’ai pas dit une bonne photo. Mais ça, c’est un autre débat.

L’image est au cœur de notre quotidien et elle influence tout le monde qu’on soit photographe ou non.

5. Exploration urbaine

Depuis quelques années maintenant, je me concentre principalement sur ce qu’on appelle communément la photographie de rue. J’ai choisi ce genre tout d’abord parce que j’habite en zone urbaine. Mais aussi parce que la nature humaine m’interroge. Elle est tellement riche de paradoxes et de créativité.

Depuis 3 ans environ, mon sujet de prédilection est l’exploration des scènes urbaines où se jouent des similitudes.

6. Exemples photographiques

Afin que vous compreniez mieux ma démarche, je vais vous donner quelques exemples du genre de photos que je réalise.

Lors d’une de mes séances de photographie urbaine, je vois une femme qui marche à côté d’un cinéma en tirant une valise. Soudain, elle croise une affiche de cinéma intitulée “la fille à la valise” où l’on peut voir Claudia Cardinale en train de tirer une valise.

Photo 1

Sans réfléchir, je prends en photo cette scène. Il y a clairement un effet miroir entre le sujet et son environnement. C’est à partir de cette scène que mon projet photographique a vraiment débuté.

Au fil du temps, je suis devenu un chasseur de concomitance dans les scènes qui se jouent en ville.

Ces phénomènes simultanés entre plusieurs sujets qui n’ont, à priori, rien à voir entre eux sont devenus, depuis quelque temps maintenant, ma marque de Fabrice si vous me permettez ce jeu de mot un tantinet cocasse.

Voici d’autres exemples de photographies que j’ai prises depuis.

Pour celles et ceux qui optent pour la version audio, je joins un descriptif précis de chacune de ces photos.

Photo 2

Une femme passe devant une vitrine . Sa robe correspond exactement aux couleurs jaune et rose qui composent la vitrine. On peut y distinguer un slogan qui se détache en noir du décor « Take the time to smile ! (prenez le temps de sourire !).
La femme dont le haut du vêtement est noir semble totalement impassible.

Photo 3

La scène se déroule devant la gare de Strasbourg. Un jeune couple se serre l’un contre l’autre. On peut distinguer en arrière plan une affiche sur laquelle se trouve une femme voilée qui se cache le visage avec sa main droite. En parallèle, l’autre femme enlace de sa main gauche son compagnon. Sa main posée sur son dos est dans la même position que celle de la femme voilée. Comme un jeu de miroir, les mains se ressemblent. L’homme est quant à lui concentré sur son smartphone qu’il tient dans sa main droite tout en serrant sa compagne contre lui. La femme tient dans sa main droite une cigarette. Les mains semblent exprimer autre chose que ce que la scène renvoie en apparence.
Photo 4

Un homme vêtu d’un tee-shirt rayé blanc et rouge traverse un passage pour piéton constitué de bandes blanches au sol. Il tient dans sa main droite une bouteille de rouge. Dans un jeu de miroir, nous pouvons distinguer deux panneaux de sens interdit ainsi qu’un bonhomme rouge qui indique que le piéton traverse au rouge.

7. L’instant décisif

Tout au long de mes pérégrinations urbaines, j’ai accumulé de nombreuses photos qui témoignent de ces situations hors du commun.

Et c’est bien cela que je cherche précisément à explorer.

L’extraordinaire dans l’ordinaire.

La conjonction de phénomènes imprévisibles qui provoquent une corrélation entre deux facteurs qui n’ont, à priori, rien à voir ensemble.

Ce projet photographique explore la nature même de l’instant décisif en photographie et plus largement dans la vie.

Mes photos de rue explorent ces fameuses conjonctions de phénomènes simultanés que certains appellent le hasard, le destin ou encore la synchronicité.

Je pense que c’est le point central de ce projet dont découle certains sujet comme le mimétisme ou encore l’effet miroir.

Ne vous est-il jamais arrivé de faire une rencontre improbable qui découle de plusieurs facteurs extérieurs imprévisibles ? Ils déterminent même quelquefois de grands changements dans notre vie.

Dans le cadre de ce projet photographique j’utilise ces coïncidences urbaines pour en faire des scènes cocasses, parfois poétiques ou encore décalées. Tout est pris sur le vif évidemment et c’est justement ce qui fait tout l’intérêt de cette démarche. Et s’il y a mise en scène, c’est bien une mise en scène de l’instantané.

Ces photographies renvoient également à une mise en abîme de nos propres représentations. La nature de l’image est comme un double qui révèle la part invisible de notre monde intérieur.

8. L’intuition

Trouver son style en photographie et plus particulièrement un projet se fait dans la durée. Il est important de prendre son temps tout en opérant un certain lâcher-prise. Dans un premier temps, tout se fait de façon très intuitive. Ce n’est qu’au bout d’un certain cheminement, que les morceaux du puzzle se rassemblent pour former du lien et du sens à sa démarche.Je crois qu’un bon photographe de rue travaille forcément à l’instinct sans quoi il ne capterait aucune scène urbaine qui se dérobe aussi vite qu’elle se met en place. C’est pourquoi il est souvent recommandé de prendre la photo sans réfléchir. S’il y a réflexion, elle n’intervient que dans un deuxième temps. Dans la rue, tout se passe si vite. Pour être sûr de pouvoir saisir certaines scènes, il m’arrive même de les anticiper. C’est là où intervient l’intuition.

L’appareil photo est devenu un prolongement de moi-même. À force de pratiquer on ne pense plus à la technique. Un bon moyen de savoir si on ne fait plus qu’un avec son appareil photo est de l’utiliser dans l’obscurité. Ses doigts doivent connaitre l’emplacement exact des touches de son boitier ainsi que de son objectif un peu à l’image d’un pianiste.

Ainsi, on optimise sa réactivité pour minimiser au maximum le décalage entre la scène et sa captation. La photo de rue est l’art d’être dans l’immédiateté. Plus on se détache du temps plus on se calque sur lui pour vivre pleinement l’instant présent. La photo m’apprend beaucoup du rapport qu’on entretient avec le temps.

Durant mes séances de photographie urbaine, je me répète souvent intérieurement, comme un mantra, « ici et maintenant » pour être autant que possible dans l’instantané.

9. L’intention photographique

Comme je l’évoquais précédemment, l’image est pour moi bien plus que ce qu’elle représente en apparence.

Photographiez ce que vous voulez voir et non ce que vous voyez, et vous verrez justement que cette nuance fait toute la différence.

Dans la rue, je ne capte pas les scènes qu’à l’intuition. L’intuition est comme une forme de prémonition et il m’arrive parfois, par je ne sais quel miracle, de pressentir qu’une scène intéressante va se réaliser. Mais l’intuition n’est rien sans l’intention photographique. C’est cette intention qui va orienter tout mon travail.

Depuis quelques années maintenant, je suis attiré par des scènes urbaines qui abordent autant la notion de hasard dans la conjonction de phénomènes simultanés et similaires comme l’effet miroir ou encore le mimétisme chez l’humain. Notre environnement nous influence bien plus qu’on ne l’imagine. C’est bien cette intention photographique qui va déterminer toute mon orientation visuelle. Sans intention, je risque de m’éparpiller dans la vastitude des sujets que l’espace urbain nous offre.

10. Conclusion

Ce n’est qu’après avoir accumulé une banque d’images assez consistante et pas mal de recul aussi que je peux commencer à sélectionner une série de photos dans le cadre d’un projet thématique précis. La narration par l’image est un exercice passionnant qui fera peut-être l’objet d’un autre article à venir.

N’hésitez pas laissé un petit commentaire en bas de cet article.

J’ai également opté pour une version audio qui peut être plus pratique pour celles et ceux qui n’ont pas toujours le temps de lire.

En attendant, je vous souhaite une très belle année 2024 et je vous dis à bientôt !

Evgen Bavcar est né

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Jean-Christophe
8 mois il y a

C’est burn d’avoir la genèse du projet avec les images. Passionnant, merci !

Dernière modification le 8 mois il y a par Jean-Christophe
Sylvie
Sylvie
8 mois il y a

Toujours de la lecture très intéressante, merci👍

Milsant
Milsant
8 mois il y a

Comme à chaque fois, passionnant de partager la démarche de l’artiste. Sa construction dans le temps, via l’expérience, est particulièrement intéressante. Bravo Fabrice !

Francine
Francine
7 mois il y a

Bonjour Fabrice. Je n’aime rien tant que de connaître le processus de création des photographes que j’apprécie. Cet article était donc parfait pour moi. Merci.

Il y a juste une notion qui m’a échappé, peut-être pourras-tu me l’expliquer : qu’entends-tu par « une mise en scène de l’instantané » ?

Sinon, je trouve que ton « truc » pour savoir si on maîtrise son appareil, faire ses réglages à l’aveugle dans la nuit totale, est à la fois simple et génial. Je vais tenter la chose…

Belle année 2024 à toi aussi. Je n’ai pas besoin de te souhaiter plein de projets. Je suis sûre que ça fourmille déjà dans ta tête !