Décor à corps

Juil 8, 2023 | Ma démarche | 6 commentaires

Ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram) l’auront déjà remarqué : mes photos captent souvent des scènes urbaines où les personnes se confondent ou, tout du moins, sont en lien avec le décor.

À force de recourir à ce style photographique, j’ai progressivement élaboré une réflexion autour de cette manie de mettre en lien le sujet avec son environnement urbain.

Chez l’animal, nous pouvons observer une véritable capacité à se confondre avec son milieu naturel. Cette faculté de devenir invisible, de se camoufler ou encore de se déguiser est ce qu’on appelle le mimétisme. Il peut être offensif ou défensif.

Voici quelques exemples de mimétisme défensif : Le papillon-paon (saturnia pavonia) a des yeux dessinés sur ses ailes. Des recherches ont montrées que ces ocelles fonctionnent comme un leurre et permettent aux papillons d’échapper à leurs prédateurs en feignant d’être un oiseau.

Le phasme est un insectes qui ressemblent à une brindille ou à une feuille et qui a la capacité de changer de couleurs. C’est un expert du camouflage. D’ailleurs, son nom dérive du latin « phasma » et signifie fantôme. Cet art du camouflage lui permet de disparaître complètement dans le décor et de devenir invisible.

Le poisson pierre, aussi appelé synancée, est un poisson sans écailles. Son corps est couvert de muqueuse et d’excroissances verruqueuses sur lesquelles poussent des algues. Il peut également adapter la couleur de sa peau à son environnement. De plus, il a des épines venimeuses, longues et solides, sur la nageoire dorsale. Il fait partie des poissons les plus venimeux au monde. Cette fascinante créature marine se confond aux récifs coralliens et peut ainsi échapper facilement à ses prédateurs comme les poulpes et les grosses murènes.

Voici également quelques exemples de mimétisme offensif : La panthère des neiges est un animal redoutable dans sa capacité à se fondre dans le décor. Vincent Munier (photographe animalier) évoque ce félin pris en photo sans le savoir lors d’un voyage au Tibet.

Discernez-vous la tête de la panthère derrière le rocher à gauche ? Vincent explique qu’il ne l’a remarqué que plusieurs semaines après son retour en triant les images sur son ordinateur. Focalisé sur le faucon, il n’avait tout simplement pas vu que la panthère l’observait.

J’en profite pour vous inviter à voir l’excellent documentaire de Vincent Munier et de sa compagne Marie Amiguet « La panthère des neiges » sorti en salle fin 2021. Au cœur des hauts plateaux tibétains, le photographe Vincent Munier, originaire des Vosges (né à Épinal en 1976), entraine l’écrivain et aventurier Sylvain Tesson sur les traces de la panthère des neiges. Il l’initie à l’art délicat de l’affût, à la lecture des traces et à la patience nécessaire pour entrevoir les bêtes. Ce documentaire est un des plus touchants qu’il m’ait été donné de voir dans ce domaine. Il nous rappelle notre place parmi les êtres vivants et la beauté de ce monde en péril.

Certaines espèces d’araignées dites myrmécomorphes ressemblent à des fourmis. Elles imitent non seulement leur forme et leur couleur mais aussi leurs mouvements et le positionnement de leurs membres pour mieux les attaquer.

Le caméléon est un reptile capable de changer de couleur très rapidement. C’est un véritable champion dans l’art de la métamorphose. Cependant, les dernières découvertes semblent nous orienter plus vers un moyen de communication sociale et non un moyen de camouflage qui ne serait que secondaire. En effet, le caméléon change de couleurs pour exprimer son état émotionnel, pour séduire son partenaire ou encore pour réguler sa température corporelle.

Comme nous venons de le voir, le mimétisme est la capacité d’imiter un être vivant ou son environnement afin de lui ressembler. Cette faculté est très répandue chez les animaux.

Le sociologue Roger Caillois soutient que le mimétisme peut également être observé chez les êtres humains. Il affirme que le mimétisme n’est pas seulement une stratégie de survie chez les animaux, mais qu’il peut également être une caractéristique psychologique chez les humains.

Je précise que ce qui va suivre n’est pas une étude sociologique mais plutôt une réflexion philosophique et une vision poétique autour de la question du mimétisme chez l’humain.

Roger Caillois distingue deux formes de mimétisme humain. Le mimétisme physique et le mimétisme social. Le premier renvoie à la capacité de l’individu à se fondre dans son environnement de façon à passer inaperçu voire invisible. Le deuxième tend à imiter les comportements, les valeurs et les normes de son groupe social dans le but de mieux s’y intégrer.

Le mimétisme est également très répandu chez l’humain. Le mimétisme facial est le fait de reproduire inconsciemment les expressions des autres. Un sourire provoque souvent le sourire. L’exemple le plus frappant est le bâillement. Voir quelqu’un bâiller déclenche bien souvent un bâillement chez l’observateur. Si vous tirez la langue devant un enfant, il est probable qu’il vous imite spontanément. L’imitation à toujours été un puissant moyen d’apprentissage. Les neurones miroirs seraient à l’origine de ce phénomène.

De plus, ces neurones miroirs s’activeraient également lors de la perception d’une émotion. Ils nous permettraient de nous mettre à la place de l’autre et développeraient par conséquent l’empathie.

Dans la même logique, le mimétisme gestuel se produit de la même façon. Si quelqu’un croise les bras, il est possible que nous fassions de même, souvent sans en être conscients.

Le mimétisme verbal se produit lorsque nous passons du temps avec une personne ou un groupe ayant un langage ou un accent spécifique que nous adoptons.

Il y a également le mimétisme comportemental, vestimentaire et social que j’ai évoqué précédemment. Il est important de noter que le mimétisme peut être à la fois conscient et inconscient mais dans la plupart des cas, nous imitons les autres sans nous en rendre compte.

Il est évident que ce phénomène est un héritage de nos lointaines origines animales. Et pour celles et ceux qui douteraient encore de nos origines, voici la preuve en image.

L’environnement nous influence autant que nous l’influençons. Depuis que je fais de la photo de rue, j’ai croisé tellement de scènes où les corps se fondent aux décors que je suis passé progressivement de la théorie de la coïncidence à celle d’un genre moins fortuit. Je crois que l’on sous-estime vraiment l’impact de l’environnement sur le système mimétique de la nature humaine.

Le déguisement est aussi une forme d’expression du mimétisme. Il est de plus en plus fréquent que je croise des personnes dans la rue se faisant passer pour d’autres.

Je crois que le mimétisme est profondément ancré dans notre ADN depuis le premier organisme unicellulaire vivant sur terre qui se multipliait en copiant leur matériel génétique et en le divisant en deux (la scissiparité). Le mimétisme basique n’est-il pas finalement un simple copier-coller ? Ne serait-il pas une des preuves évidentes d’évolution ?

Depuis les premières origines de la vie jusqu’à aujourd’hui, le mimétisme continue d’évoluer. Ce fût d’abord un puissant moyen de survie. Mais c’est aussi un merveilleux moyen d’apprentissage et de communication. Et puis n’est-ce pas un moyen de mieux s’intégrer à notre environnement jusqu’à se fondre en lui ?

N’y a-t-il pas dans la nature même de ce mimétisme un sens métaphysique ? Ne sommes-nous pas moulés sans le savoir au souffle dont toute vie découle et qui peut prendre toutes les apparences ?

L’humain aime jouer à se déguiser. Il a très clairement le goût du camouflage. L’art militaire excelle dans cet art.

Parfois, il aime se camoufler jusqu’à en devenir invisible. Le succès du roman puis du film ‘L’homme invisible » est la parfaite expression de cette fascination du mythe de l’invisibilité.

Au-delà du déguisement et du camouflage, l’individu adopte également le masque social qui est une façon plus subtile d’imiter les comportements et les apparences d’un groupe en particulier dans le but de s’y intégrer plus facilement.

Je vois toutes ces correspondances uniquement parce que je les cherche. On débusque rarement le hasard sans le chercher. Mais une fois branché sur la bonne fréquence, je me laisse guider par les nombreuses scènes qui s’offrent à moi tout au long de mes déambulations.

Je vois la ville comme un espace où se joue durant un instant furtif un équilibre de formes et de couleurs osmotiques. Décor à corps, tout semble faire corps avec le décor. Durant un court moment qui semble surnaturel, j’observe l’humain dont la nature semble être un modèle conçu à partir d’un original parfaitement harmonieux. Mes photographies urbaines sont avant tout le reflet de ma vision du monde. Elles racontent notre histoire, notre voyage comme un exil sur cette terre d’asile. Le mimétisme, un moyen de survie mais aussi un merveilleux moyen de se mettre à la place de l’autre et de développer un sentiment d’empathie.

Finalement, le mimétisme joue un rôle important dans l’adaptation sociale, l’apprentissage et la transmission culturelle. De plus, il contribue à lire l’espace urbain comme on lit un recueil de poésie. D’ailleurs, l’étymologie du terme « mimétisme » est issue du terme grec « mimèsis » qui remonte à l’Antiquité et qui se référait à l’acte d’imiter le monde réel à travers l’art (théâtre, peinture, littérature, etc.)

Même si le mimétisme peut conduire à une perte d’authenticité et une forme de standardisation de la pensée, je suis optimiste face à notre capacité à échapper à cette forme d’imitation de masse. En fait, j’y vois surtout des avantages en termes d’apprentissage, d’intégration sociale, d’adaptation et même d’inspiration artistique et poétique.

La preuve en image ! Allez ! Une dernière pour la route !

Pour conclure, et si nous ne pouvons échapper à cette forme d’imitation de masse alors faisons en sorte que les modèles soient gorgés de bonté et de bienveillance. Utilisons le mimétisme qui est tellement répandu dans nos sociétés pour disséminer à travers le monde des sourires, des mains tendues, des accolades, des bras ouverts, etc.

Le mimétisme ne pourrait-il pas être un puissant moyen pour transformer ce monde ?

Evgen Bavcar est né

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Milsant
Milsant
1 année il y a

Bravo pour cette réflexion toujours très pertinente !

Francine Perrin
Francine Perrin
1 année il y a

Merci pour cet article très intéressant. Je partage ton opinion, sauf…pour le bâillement. Dans le mimétisme, je vois un acte volontaire, une sorte de stratégie. Or, quand quelqu’un bâille, et qu’on a envie de baîller en le voyant, ce n’est pas volontaire. C’est irrépressible, plus de l’ordre de la contagion. Idem pour le rire.
De même, dans les personnages que tu photographies, tu parles de mimétisme. Mais ce serait un mimétisme involontaire, non? Une forme de hasard, comme tu le dis. Pour moi, c’est un peu antinomique. La dame à la robe orange et verte qui passe devant une vitrine aux mêmes couleurs n’a pas prévu en s’habillant le matin qu’elle allait passer devant cette vitrine et qu’elle voulait y accorder les couleurs de son vêtement.
Ceci dit, heureusement que tu étais là, avec ton oeil de lynx ! 😉

CARE
CARE
1 année il y a

Magnifique cet article ainsi que les photos, ça nous fait réfléchir sur le comportement humain, bravo