Introduction
Depuis une dizaine d’année maintenant, la photographie occupe une grande partie de mon temps libre.
J’ai abordé différents genres de pratiques photographiques mais depuis environ trois ans j’explore la photographie de rue.
Cette discipline telle que je l’exerce est une pratique solitaire.
Elle est pour moi avant tout un mode d’expression tout comme l’écriture ou la peinture. Je veille à ce que la photo soit graphique mais ce n’est pas ce qui détermine en priorité mon choix.
Mise en condition
Je tiens à préciser que le sujet abordé dans cet article est exclusivement issu de mon expérience. Cet article n’a pas vocation de proposer une méthode mais simplement de présenter un témoignage sur ma pratique personnelle. Il peut tout au plus inspirer ou participer à une réflexion sur la pratique photographique.
Lorsque je me prépare mentalement pour une séance de photographie urbaine, je fais le vide dans ma tête. Je ne pense à rien. Je n’ai aucune idée des sujets ou des thèmes que je vais rencontrer.
Mise en pratique
La ville représente pour moi une scène de théâtre où se joue notre propre comédie sociale.
Toutes mes photos sont prises sur le vif sans aucune mise en scène. Et s’il y a une scénographie, ce n’est qu’une mise en scène de l’instantané.
La plupart du temps, je mets en interaction le sujet avec son environnement urbain. Mais toutes les scènes qui me touchent sont susceptibles d’attirer mon attention.
Sur le terrain, j’essaye d’opérer un véritable lâcher-prise pour être en connexion avec l’environnement sans être parasité par des pensées envahissantes.
Je me laisse principalement guider par mon intuition.
Je crois que la photo de rue se fait d’abord avec ses tripes et que le reste arrive par surcroît.
Je veux dire par là que je ne photographie que ce que je ressens et non ce que je vois.
Je pense que le processus créatif est propre à chacun en fonction de sa personnalité et que c’est sa sensibilité qui fait toute la différence.
Parfois, il m’arrive de trouver un décor intéressant mais j’ai rarement la patience d’attendre assez longtemps pour que se révèle la scène idéale. La plupart du temps, je marche jusqu’à ce qu’une situation attire mon regard.
A force de me déplacer dans le même secteur, je mémorise les décors. Quelques fois, j’anticipe une interaction intéressante. Mais dans la rue, nombreux sont les écueils qui vous empêchent de réaliser ce que vous aviez anticipé. Et il y a bien plus de situations ratées que de photos réussies. C’est le jeu.
Je pense que nous voyons principalement ce que nous sommes.
C’est un peu comme si l’environnement était le miroir de notre monde intérieur. Dans le même espace, certains ne voient absolument pas la même chose que d’autres. Et c’est bien la preuve que notre regard est influencé par une dimension personnelle.
L’humain influence autant son environnement que son environnement l’influence. Et c’est ce que je trouve intéressant à explorer dans la photographie urbaine.
Par exemple, sur cette photo, j’inverse les rôles. Le street art prend vie et se met à peindre l’humain.
Mes photographies sont majoritairement en couleur. Les couleurs ont un langage émotionnel propre à notre culture. Contrairement au noir et blanc, elles sont plus ancrées dans la temporalité. Elles rentrent bien souvent en résonnance les unes avec les autres et c’est sans doute pour cela qu’il m’est venue l’idée de jouer sur les similitudes chromatiques et, de façon plus générale, sur les ressemblances. Je crois qu’elles renforcent le lien entre le sujet et le décor et ainsi facilitent la lecture de l’image.
Je tiens d’ailleurs à préciser avec malice que « toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence » selon la fameuse mention cinématographique. Et pour moi, le cinéma, c’est d’abord dans la rue.
Je rajouterai une dernière chose concernant le hasard à travers la plume de Bernard Plossu : « La photographie, c’est une disponibilité au hasard, et le hasard ne vous arrive pas par miracle, on a presque le hasard qu’on mérite, au bout de pas mal de temps d’aller partout, il vous arrive des choses, et c’est pour ça que j’aime bien dire qu’on ne prend pas de photos, mais que les photos vous prennent… »
J’utilise tout ce que l’environnement urbain m’offre comme témoignage de la société actuelle. Que ce soient les slogans, les affiches, les vitrines, le street art, les couleurs, les vêtements, les animaux domestiques, les enseignes, les panneaux de signalisation, l’architecture, la géométrie, etc., je les mets en interaction avec l’humain en proposant une lecture personnelle de la scène.
Parfois le message est léger, quelques fois, il est plus grave.
La photographie de rue est pour moi non seulement une documentation sur notre société mais aussi un regard porté sur le monde.
La photographie est l’expression d’une vision intérieure. L’œil du dedans, si j’ose dire, influence l’œil du dehors. Les photos donnent des indications sur la cartographie mentale de l’auteur. Elles peuvent aussi, par conséquent, nous en apprendre beaucoup sur nous-même.
Le processus créatif est donc étroitement lié à sa vision du monde qui est elle-même en perpétuel mouvement. L’esprit de la photographie n’est pas figé contrairement à l’image. Le processus est évolutif.
Qui sait où peut me mener la photo de rue ?
Je pense que le processus créatif ne s’apprend pas comme une technique mais il s’acquiert à travers l’apprentissage de la vie et une certaine sensibilité. Certes les bases de la composition font parti de ce processus et peuvent s’apprendre mais pour trouver son style, ne faut-il pas déconstruire ces techniques pour explorer tous les champs des possibles ?
L’humour est un des facteurs déterminants de mon inspiration.
Comme le photographe animalier, j’utilise, quelques fois, un téléobjectif pour ne pas déranger l’humain dans son milieu naturel.
D’ailleurs, ne sommes-nous pas des animaux doués de raison ?
Comment ne pas aborder cette époque sous l’angle des illusions perdues qui nous éloignent chaque jour un peu plus des fameuse trente glorieuses.
La ville fourmille d’innombrables contrastes saisissants où des réalités bien différentes cohabitent ensemble. J’essaie de les retranscrire à ma façon.
Les codes vestimentaires n’échappent pas à ce phénomène.
La sélection des images, comme nous allons le voir, fait évidemment parti du processus de création. Elle s’appuie avant tout sur le sens et l’émotion qu’elles me procurent.
Mise en lumière
La sélection des photos ou l’éditing, dans le cadre d’un projet précis, est une étape cruciale. Il est fréquent que pour une même scène, je réalise plusieurs photos. C’est à ce moment-là qu’intervient différents critères de sélection. Comme je l’ai énoncé précédemment, si la scène photographiée est graphique mais ne me touche pas pour le sens ou l’émotion qu’elle dégage, je ne la sélectionne pas. Si, au contraire, elle me touche mais que j’estime qu’elle n’est pas suffisamment graphique, je ne la choisis pas.
Entre les différentes photos qui représentent la même scène, je choisis celle qui me semble la plus lisible. L’exercice demeure néanmoins assez subjectif.
Voici un exemple pour imager mon propos :
Sur ces deux photos qui représentent une même scène, nous pouvons constater que l’apparence du skateur ressemble à celle des personnages sur la fresque.
Cet effet miroir ou mise en abîme créé une composition qui met en lien deux univers. Le réel et la fiction. La réalité vivante et l’art. Le jeune homme en noir et blanc se confond au street art. C’est un bon départ. L’histoire commence. Les deux images sont graphiques. Il ne me reste plus qu’à en choisir une.
A première vue, je trouve que l’image à droite est plus claire et le message plus direct. La posture du jeune homme est plus conforme à celles des personnages sur le mur. Le reflet du cheval qui apparaît sur la façade du musée semble plus visible. Le skate et le cheval nous renvoient à la notion de déplacement. Sur l’image à gauche, la couleur jaune risque de détourner le lecteur de l’essentiel et le cheval n’est pas assez visible. Assez rapidement, mon choix se porte sur la deuxième image.
Quelques fois, je fais intervenir un regard extérieur de confiance pour qu’il confirme ou infirme mon choix. Mais cela n’a qu’une valeur indicative et non décisive sur mon choix final.
Sur une séance de photographie urbaine qui peut durer entre 2 et 4 heures, je peux faire, au total, une centaine de photos. Sur l’ensemble des photos, j’en sélectionne jusqu’à 4 ou 5 qui me semble intéressantes, mais il m’est déjà arrivé de n’en choisir aucune.
Ce travail rigoureux et régulier de sélection participe à défricher le terrain des idées, me permet également de progresser sur la composition d’une photo et m’aide à y voir plus clair sur ma démarche photographique. C’est une étape très enrichissante.
Il ne me reste plus qu’à traiter les photos sélectionnées à l’aide d’un logiciel. Je ne retouche que très légèrement les photos de façon à ajuster la lumière, le contraste et la couleur.
Il reste sans doute encore beaucoup de choses à dire sur le sujet qu’aborde ce premier article. Ma volonté n’est pas d’être exhaustif mais d’apporter quelques points d’encrage autour de ma pratique photographique.
Chères lectrices, chers lecteurs, merci de m’avoir lu jusqu’au bout !
N’hésitez pas à m’enrichir de vos remarques par vos commentaires.
Belle initiative Fabrice !
Bonjour, je vous suis depuis quelques temps et vos photos m attire à chaque fois..J aime votre vision et cette lecture ici m a beaucoup plus. Je me suis inscrite à votre newsletter pour ne rien manquer. Merci pour le partage, cordialement, Sylvie L.
Très bel et intéressant article qui décrit parfaitement la démarche en photographie de rue.
Je me retrouve et partage le même sentiment quant aux sensibilités qui nous permettent d’avoir ce regard personnel sur le monde et l’humain. Le vôtre est particulièrement captivant et je l’apprécie énormément. Beau travail et belle continuation !
Très intéressante ta démarche de photographe de rue 🙂. Je suis toujours épaté par ces personnages souvent atypiques que tu mets en évidence en faisant le parallèle avec leur environnement direct. A se demander qui copie l’autre, la rue ou l’humain ? 😉. Bonne continuation dans cette démarche !
Bravo et un grand merci pour cet éclairage sur ta démarche photographique! Ce sera un complément fort utile pour apprécier pleinement ce que tu fais chaque jour pour le bonheur de tes nombreux »suiveurs » !!
Effectivement, mes photos parle de cette interaction avec notre environnement urbain que l’humain à mis en place et qui reflète à mon sens si bien la nature humaine. Merci Yves pour ton commentaire !
Merci beaucoup Stephan pour votre élogieux commentaire !
Merci beaucoup Sylvie pour l’intérêt que vous portez à ma démarche !
Merci d’y être sensible Sylviane !
Merci beaucoup pour ton retour d’impression Gilbert !
Très beau site, bien construit et un univers poétique, humain avec de l’humour, un équilibre si rare. Bravo
Je vois que vous êtes une passionnée de littérature. Dès que j’aurais un peu de temps libre, j’irai découvrir votre blog. Merci Aline pour votre commentaire qui me va droit au coeur !
J’ai vraiment adoré lire cet article si bien écrit .. Que de mots me touchent ! Cette approche de la photographie est celle qui me semble la plus vraie et la plus riche , la plus émotionnelle . Une forme de photographie méditative , où le profond de l’être s’exprime aussi à travers l’image , une forme de récit , comme certains prennent un stylo, d’autres un boîtier … S’ouvrir au monde , pour que la photographie arrive à nos yeux et à notre sensibilité propre , ne pas la chercher … la laisser venir !
Je suis fan depuis longtemps et admirative de ce travail , alors … ces mots sont juste superbes ..
Merci d’avoir pris le temps de me décrire tes premières impressions Danielle ! Tes mots me touchent et m’encouragent à poursuivre à travers ce blog cette réflexion autour de la photographie.
Vous suivant depuis longtemps, j’ai pu me rendre compte de la progression vers des images de plus en plus subtiles, J’ai vu comment l’oeil s’est affuté à saisir la complexité et la joie (ou pas) du réel. Ceci s’obtient en remettant sur le métier son ouvrage tous les jours. C’est en photographiant qu’on devient photographe, tous les jours… Je le sais, mais je ne le fais pas ! Grrrr !
Bravo pour votre œuvre. J’attends le premier livre et l’exemplaire n°1 réservé !
Au plaisir de continuer à vous lire sur ce beau blog.
En effet, je crois que le processus créatif est en perpétuel évolution. Pour celui ou celle qui est passionné, rien ne l’arrête ! On apprend et évolue jusqu’au bout du chemin. Merci beaucoup pour votre commentaire Claudine ! Et pour le livre qui sortira sans doute un jour, je vous réserve le premier exemplaire. A bientôt !
Que de vérité en vous’ lisant ! Que vos photos parlent d’elles mêmes ! J’adore ! Merci pour ce partage ! Merci de faire vivre plus longtemps des moments précis, de les faire voyager et de nous permettre de rêver, penser, sourire … subjectivement ☺️
Merci beaucoup Nadia d’avoir pris le temps de commenter cet article qui est le premier d’une longue série. Merci d’être sensible au regard que je porte sur le monde.
Salut Fabrice,
Très intéressant de découvrir ton parcours, et tes démarches. Tenir un blog et écrire des articles, ça permet de faire le point sur soi-même et de bien faire comprendre aux autres nos intentions. Car souvent les images ne parlent pas toujours d’elles même, où plutôt qu’il y a un jeu d’interprétation très large, qui fait que le public ne perçoit pas toujours les choses qu’on voudrait mettre en avant.
J’ai apprécié cette lecture, et je me retrouve pas mal dans ta manière d’aborder la photo de rue. Surtout concernant les jeux d’associations que je traite depuis 2 ans maintenant !
Je te souhaite une bonne continuation,
Salut!
C’est très juste Alexandre ! Un blog à plusieurs fonctions dont celle de clarifier nos intentions. Un blog c’est aussi partager sa réflexions sur des sujets particuliers et s’enrichir du point de vue des uns et des autres dans les commentaires. Merci pour ton retour d’impression et bonne continuation également ! Au plaisir de se croiser dans les rues de Strasbourg !